HISTOIRES DE FAUCONNET EN 1974Que
se passait-il à Challes en 1974?
C'était encore le temps où les Fauconnet connaissait l'engouement des
pilotes et vivait de belles heures de vol. Nous n'hésitions pas à les
emmener en " 300 " (n'est-ce pas Christian Brondel), ou, comme je vous le
raconterais plus loin, à faire des " 3000 " en thermique. Nous en avions
même envoyé un sur Castellane - Bonneville qui, après avoir cherché le
Parcours du Combattant et photographié Castellane, s'était reposé à Challes.
Bel exploit quand on sait que le Fauconnet était, oh ! pardon, est (parce
qu'il en existe toujours), une sorte de K 18 en beaucoup plus léger.
Tellement léger qu'il fallait pratiquement faire un départ en autorisation
pour le centrer dans les grosses ascendances... mais chut ! C'est vrai que
maintenant les " 300 " sont devenus le début du circuit et que même les "
500 " . Mais, en 1974...
1974, c'était le début des grandes découvertes à Challes. A l'image de nos
amis américains, nous partions à la conquête, non pas de l'Ouest, mais des
grandes Alpes. Il faut savoir que la Suisse et la vallée du Rhône ne seront
explorées que deux ans plus tard, en 1976. C'était aussi la première fois
que nous partions en face Est de la Chartreuse et que les grands tournaient
leur premier " 500 " dans le Sud. Patrick Jandard devrait bien nous raconter le sien qui ne manque pas de
piment. Personnellement, je faisais mes premiers " 300 " sur un Mont
Aiguille - St.Jeoire-en-Faucigny en Squale un 20 avril, après deux ans de
vol à voile. Nos
bêtes de concours étaient le LS I D et l'ASW 15, moins performants que ne
l'est aujourd'hui le Pégase, ainsi que les Squales (Wa 26) qui n'étaient que
l'équivalent du Ka 6 E !. L'hiver 73-74, nous avions acheté à quinze copains
des Nord 1300, venant des neiges de la Llagonne. L'un d'eux, le CRLF, est
toujours visible au fond du hangar. Il avait fait son premier vol le 19 mai,
après que nous ayons passé l'hiver à lui peindre sa peinture d'apparat.
Chaque week-end voyait partir les remorques un peu partout... A titre
d'exemple, en une seule année, j'ai fait six vaches hors - terrain, et ce
n'était pas exceptionnel. Nous
volions avec les altis calés au Fox - Echo, soit 300 mètres de moins qu'avec
le calage QNH utilisé maintenant. Heureusement, toutes les montagnes étaient
également 300 mètres de moins que maintenant ! Pour ne pas troubler les
jeunes lecteurs, les altitudes de mon récit seront traduites en QNH. En
1974, nous faisions de belles Rencontres Amicales et nous avions organisé,
en juillet, un concours de jeunes pilotes en montagne, que gagna un certain
Gilles Navas. C'est au cours de cette compétition que je fis le vol du 9
juillet que je vais vous décrire. Mais revenons quelques jours en arrière...
Il doit y avoir prescription.
L'arrivée du Fauconnet CDLO
Le 5 juillet au matin,
nous décollons avec Michel Gonseth, grand moniteur de
cette époque, pour aller chercher notre nouveau Fauconnet à Joigny, près de
Paris. Michel décide de faire le plein sur un aérodrome du centre de la
France, dont j'ai oublié le nom. Il fait une très belle procédure radio,
mais les réponses de la tour me semblent bizarres. Je lui ai fait remarquer
qu'il y a une croix blanche au milieu du terrain. Il en déduit donc que
c'est le début de la piste qui est fermé. Enervé par l'insistance de la tour
qui lui demande sa position, il annonce qu'il se tourne en dernier virage et
qu'il va se poser quand, dans la radio, arrive un ordre de remise de gaz...
Le nouveau terrain est 10 kilomètres plus à l'Ouest, et celui sur lequel
nous voulions nous poser est désaffecté. En arrivant à Joigny, il faut faire
le vol d'essai. 0K, pas de problème... Où est le parachute ? On l'a oublié à Challes et je dois donc voler sans.
Pour le convoyage de retour, non seulement je n'ai toujours pas de
parachute, mais le Fauconnet est transformé en shaker, car des " cumuli " sont apparus
de partout. Je dois assurer la navigation, en tirant sur la queue du
remorqueur, notamment pour que mon pilote ne m'emmène pas en radada dans la
vallée de l'Albarine, entre Ambérieu et Culoz...Retour folklorique et fatiguant !
Le
vol du 9 juillet 1974
En
tant qu'organisateurs des Rencontre Alpines des Jeunes Pilotes, nous
décidons, avec Michel Bouillol, de leur faire faire un " St. Jean de
Maurienne - L'Alpe d'Huez ", soit 127 km. C'est certainement une première à
Challes. Nous connaissons à peine la Maurienne, et pas du tout l'arrière des
Belledonnes. Une
fois les concurrents en l'air, je décide de les suivre avec ce brave CDLO,
qui n'avait pas trouvé preneur, et avec une vague idée de faire mes " 3000m
". Je me largue à 550m QNH sur le Mont St Michel, passe par le Gelaz, la
Galoppaz, et je me jette sur l'Arclusaz. Maintenant, il faut traverser la
vallée de l'lsère, ce qui n'est pas gagné avec un Fauconnet. Je me retrouve
pas très haut à la verticale d'Aiton, mais ça repart bien au dessus des
sapins. Patiemment, j'escalade le Grand Arc et je continue sur la Lauzière.
Ca devient magnifique et je me régale à remonter cette superbe chaîne. Je
passe St François-Longchamps et euphorique, je poursuis mon avancée en
Maurienne, à 2400m, jusqu'au Perron des Encombres et la Croix des Têtes. Je
me fais secouer, mais c'est super - fumant. Ca plafonne, hélas, à 3400 et je
n'arrive pas à faire mon gain de 3000m . Je photographie St Jean de
Maurienne et décide d'aller aux Aiguilles d'Arves, ce qui est une première
pour moi. Je dois avouer que je suis un peu impressionné de m'enfoncer dans
cette région. Je
fais de la pente sur la Grande Chible, que j'atteins à 2600, et passe en
crête. Je continue en direction de l'Aiguille de l'Aipaisseur et des
Aiguilles d'Arves, où j'arrive à 2900. Il y a un beau cumulus qui fleurte
avec le sommet, mais ça va être juste. Je me bats un moment en vol de pente
dans un cadre magnifique. Je remonte doucement le long des Aiguilles d'Arves,
dans une sympathique euphorie. Plusieurs fois, ça plafonne à 3500m et il me
manque au moins 50 mètres.
Finalement, j'avance vers l'aiguille la plus à l'Ouest, je prends de
l'élan... et je réussis à passer de justesse 3600 mètres. Si mon barographe
a bien fonctionné, ça doit être bon. Heureux dans ce paysage grandiose, je
regarde du coin de l'oeil la Meije. C'est impressionnant, mais je n'y
résiste pas. Et puis, ça peut me permettre de mieux assurer les 3000 si ça
monte. Je
survole le Plateau d'Emparis et arrive sous la Meije vers 3000. C'est
extraordinaire, mais on se sent tout petit au milieu de ce décors
majestueux. Par contre,- c'est déjà dans l'ombre et ça ne monte pas
vraiment, aussi je me dirige vers les Deux Alpes où je survole des pistes si
souvent parcourues. Je continue de m'emplir la tête de tous ces paysages de
rêve. Cependant il commence à se faire tard et je me replie sur Huez. Là,
les azurs fatigués se révèlent médiocres, aussi je décide de dégager par la
Vallée de la Romanche, trop bas pour repasser les Belledonnes. Le fond de la
vallée est sombre et ça ne monte guère. Je me récupère enfin vers le Lac
Fourchu et je remonte à 2600m devant le Taillefer, ce qui me permet de
traverser sans problèmes vers Chamrousse.
Maintenant, il ne reste plus qu'à redescendre les Belledonnes, émerveillé
par tous ces petits lacs et ces vallées si belles.
Mon
Brevet E sera finalement homologué avec un gain de 3050 mètres. Ce vol peut
paraître banal de nos jours, mais pour moi il restera un de mes plus beaux.
Quant au Fauconnet, je ne peux pas y penser sans sentir monter en moi une
vague de nostalgie.
Jacques Boude
Récit tiré de « ALBERT » la gazette de challes les eaux.
N°17
de 1997